Cotonou et nous et nous et nous: Pagnes africains

Le pagne africain n’est pas africain depuis si longtemps !

Ces tissus imprimés sur du coton sont à l’origine des produits manufacturés hollandais à destination de l’Indonésie au XIXème siècle. D’où leur nom de « Wax » (« cire » en anglais) tiré de la technique d’impression des batiks.

Cependant, le succès foudroyant en Afrique de l’Ouest de ces étoffes colorées en ont fait rapidement un élément culturel très important.

Auparavant dans le Golfe de Guinée, le vêtement - qui n’était pas systématique - était composé de tissages de fibres végétales, voire de simples ornements autour de la taille et d’étuis péniens. Puis le coton (produit en Afrique à partir du XVIIème siècle en provenance probable du Brésil) a permis de nouveaux tissages traditionnels, comme le bogolan du Mali, le baoulé de Côte d’Ivoire, le bazin ou les tissages du Dahomey (actuel Bénin). Ils restent longtemps réservés aux gens importants, aux tenues d’apparat ou au domaine religieux. Certains tissages ont toujours aujourd’hui une portée spirituelle.

Le bazin, un coton damassé.

Le pagne africain est hollandais … ou chinois.

Le véritable Wax hollandais créé en 1846 est encore aujourd’hui conçu et produit aux Pays-Bas par le groupe Vlisco.

Les pagnes hollandais sont les plus réputés. Des collections de motifs nouveaux sortent des bureaux d’étude hollandais plusieurs fois par an. Une partie de la production, toujours avec impression authentiques à la cire, se fait en Hollande pour la marque Vlisco (pagnes de luxe) mais aussi dans des filiales du groupe basées en Afrique sous les marques Uniwax (fabriqué en Côte d’Ivoire), GTP (Ghana) et Woodin (plus branché).

Ces pagnes de qualité (Wax hollandais, Superwax, Wax block, Java…) sont des produits chers hors de portée de la bourse de la plupart des africains. Cependant ce sont leurs créations originales, massivement reprises, interprétées ou purement et simplement copiées par les producteurs asiatiques qui donnent le « la » de la mode africaine, du Golfe de Guinée jusqu’au Congo.

Crise et contrefaçon, la rançon du succès.

Le problème de la contrefaçon se pose. On peut trouver des pagnes en simple impression industrielle sur coton à partir de 6 000 FCA les 6 yards (soit moins d’1,5 € le mètre) chez les grossistes de Cotonou, soit dix fois moins cher qu’un pagne Vlisco.

La copie a considérablement démocratisé le port du pagne par tous les africains mais a aussi engendré (avec la crise et la dévaluation du Franc CFA) l’effondrement d’une activité économique locale florissante jusqu’au début des années 90.

Les célèbres Nanas Benz togolaises qui avaient le quasi-monopole du commerce de pagnes en l’Afrique de l’Ouest, ne font plus les affaires qui leur permettaient d’acheter les voitures allemandes auxquelles elles doivent leur surnom !

Le commerce du pagne à Cotonou.

À Cotonou, un millier de « bonnes femmes » (c’est le nom donné aux commerçantes en général) continuent de tenir le commerce du pagne au marché de Dantokpa, le plus gros marché du pays avec 18 hectares dédiés à une vaste gamme de produits alimentant le marché local et les pays avoisinants.

Un grossiste Woodin à Cotonou.

A côté des pagnes hollandais, les vendeuses vendent aussi des pagnes « Ghana » et « Qualiwax », ou ceux de la marque moins chère Da Viva. La demande est liée aux préférences ethniques et aux possibilités financières.

Le mot pagne désigne à la fois l’étoffe, le vêtement fabriqué (pagne d’homme ou de femme par exemple) et l’unité de mesure : Un pagne, c'est un yard de large par deux yards de long, soit environ 91 cm sur 1,80 m.

Lorsque l’on veut acheter un métrage de tissu on parle en yard ou en pagne mais pas en mètre : Les rouleaux de pagne sont conditionnés en coupon de 6 yards (5,49 mètres) soit « trois pagnes » ou 12 yards soit « 6 pagnes ».

Il faut souligner que la créativité en terme de motifs et de déclinaisons de couleurs est hallucinante dans le pagne africain toutes qualités confondues. Des centaines de pagnes différents sont mis en vente chaque semaine. Si certains motifs sont récurrents, les combinaisons de couleurs, les interprétations nouvelles et les motifs originaux créent une diversité incroyable.

Le pagne, un vêtement messager.

Comme tout vêtement, le pagne révèle par lui-même l’appartenance culturelle et le rang social de son possesseur. Mais la particularité du pagne africain est d’être un vêtement porteur d’un message.

Le pagne peut être très indiscret et révéler vos choix politiques, vos convictions religieuses ou votre statut de célibataire en quête de l’âme sœur !

On peut diviser les motifs en deux catégories. Les célèbres pagnes événementiels ou les pagnes « à thème » donnent des messages parfaitement clairs. La deuxième catégorie de pagnes utilise des motifs qui nécessitent de connaître leur symbolique, parfois fluctuante.

Les pagnes événementiels ou « à thème ».

Les célèbres pagnes événementiels sont imprimés à l’occasion par exemple de la venue d’un hôte de marque (le Pape, un président étranger…), d’une date importante (élection présidentielle, Journée de la femme, anniversaire ou inauguration d’un organisme…), avec les logos d’une grande entreprise qui l’offre à ses employés, pour des funérailles, etc.

Il y a aussi des pagnes « à thème » : confessionnels avec la Vierge-Marie ou divers motifs religieux, politiques aux couleurs d’un parti, saisonniers avec des pagnes aux motifs spécifiques à une période de l’année (Cœurs à la Saint-Valentin, crèches à Noël…).

Il n’y a pas de limite aux bonnes raisons de créer un pagne !

Les pagnes à motifs symboliques

Mais le plus intéressant se trouve dans les pagnes moins explicites, dont les motifs sont porteurs d’un message qu’il faut connaître.

Traditionnellement, ce sont les vendeuses de pagnes qui les baptisaient en inventant souvent une ou des significations en rapprochant un motif avec un dicton par exemple. Certains pagnes doivent aussi leur nom à un événement concomitant à sa sortie. Un motif « sac à main » s’est ainsi retrouvé baptisé « Michelle Obama » à cause d’une visite de la Première Dame américaine sur le sol africain au moment de son édition.

Certains motifs à succès comme le cheval de saut, le ventilateur, la main, les patins à roulettes, lancés par Vlisco sont repris depuis des années par d’autres marques. Un même motif est très couramment repris en plusieurs déclinaisons de couleurs.

L’usage ou la signification de ces pagnes à messages semblent se perde un peu dans les nouvelles générations, peut-être il y a-t-il trop de nouveautés aussi ? Mais voici quelques exemples.

Motif « Cheval de saut » représente un cheval cabré. Il exprime la rivalité entre épouses et porte le nom de « Je cours plus vite que ma rivale » en Côte d’Ivoire.

Motif «La famille » : Avec une poule et des poussins, la tête d’un coq et parfois des œufs, ce motif représente les valeurs familiales. Porté par les femmes il incarne leur position centrale au sein de la famille. Le père-coq n’apparaît jamais en pied, on ne le représente que partiellement car ce serait le perturbateur de la famille…

Motif « Les yeux » : Un pagne avec ce motif est porté par une femme pour montrer à un homme qu’il lui plaît.

Motif « Ventilateur » : Un motif originel de Vlisco de 1985, ce dessin de ventilateur de table est un motif qui rencontre beaucoup de succès, pour son évocation rafraîchissante sans doute.

Motif « La main » : Ce motif avec une main et des doigts isolés disposés en rayon est un exemple typique d’un même dessin avec des interprétations différentes. « La main » signifie au Togo que l’on ne se marie pas les mains vides (il faut un trousseau pour la mariée). Le même motif sous le nom de « Cinq doigts » symbolise la force du travail en équipe, chaque doigt ne pouvant rien sans la main. Il peut aussi être un motif de regret « l’inimitié me vient de ce que mes doigts ont fait » ou encore « on m’envie ».
Enfin en RDC, le dessin est connu sous le nom de « doigt de Baudoin » en référence à la visite du roi des Belges au moment du lancement du tissu !

Motif « Le disque » : Datant des années 60, sans doute un des plus connus. Il existe dans des dizaines de couleurs, avec le motif plus ou moins gros et stylisé. Il est aussi appelé Target (cible), Nsu Bura (puits d’eau au Ghana), Gbédjéagan (un chapeau royal au Togo), Record au Nigéria et Gramophone au Bénin dans la même idée.

Motif « Oiseau sortant d’une cage » : Baptisé « Tu sors, je sors », il met en garde les maris volages, leur épouse pourrait bien en faire autant.

Motif « Hirondelles» : Les oiseaux sont un symbole du bonheur. Et l’oiseau est aussi un messager : Un pagne comme celui-ci avec des hirondelles peut servir à demander la main d’une jeune fille.

Motif « demi-soleil » : Très courant lui aussi et décliné en de nombreuses couleurs, ce motif est l’illustration d’un dicton « Le soleil couchant peut percer la jarre d’huile ». Il signifie donc « je peux encore faire des choses même si je suis faible ou déclinant », ou « je garde espoir », ou encore « quelle que soit la situation je reste optimiste ».

Motif « Mon mari est capable » : Baptisé ainsi en Côte d’Ivoire, ce pagne très célèbre (dit « monument ») à petits motifs était à l’origine fabriqué par Vlisco. Pagne de luxe, il valorise l’homme qui l’offre à sa femme. Celle-ci en retour montre aux yeux de tous qu’elle a un mari à la fois riche et attentionné ! Rien à voir avec le dessin donc…

Motif "huître" ou "chaussures de roi" : Un autre exemple de motif avec plusieurs noms. Au sud du Bénin, il évoque les coquilles d'huîtres, on l'offre pour souhaiter robustesse et longévité. Au Nord (où il n'y a pas d'huîtres !) ce pagne s'appelle "Chaussures de roi" et a une place de choix dans la dot.